Ce que j’apprécie dans le fait de vivre dans un pays qui n’est pas le mien, c’est la découverte permanente. Il se passe toujours quelque chose de nouveau ou d’inattendu et nous sommes régulièrement surpris. En voici quelques unes compilées dans cet article. Sans lien entre elles, mais qui valent la peine d’être partagées …
D’abord, la nouveauté 2018 à Mahajanga, c’est l’avion ! Ce sont les élèves qui m’en ont parlé à la rentrée de janvier : « Maîtresse, tu as vu l’avion ? » « Maîtresse, je suis allé voir l’avion avec mon papa et ma maman. » « Il est gros cet avion. » « Il est beau l’avion, ma maman m’a prise en photo devant. » Mais aussi : « Maîtresse, les camions doivent faire attention en passant. Les ailes de l’avion dépassent un peu sur la route… » Qu’est-ce donc que cette histoire d’avion ? C’est une idée de Monsieur le Maire. Un avion Antonov 2 qui dépérissait sur la piste de l’aéroport a été placé sur un rond-point pendant les congés de Noël. En visite dans l’école, Monsieur le Maire a expliqué que c’était son rêve d’enfant de devenir pilote, qu’il voulait créer une nouvelle attraction pour les touristes en visite à Majunga et que cet avion permettrait à tous ceux qui n’en ont jamais vu de près de pouvoir rêver de voyages. Pourquoi pas un avion sur un rond point ? Mieux ou moins bien qu’un cadran solaire ? Les habitants des Pyrénées-Orientales comprendront le clin d’œil.
Lors de cette visite, Monsieur le Maire a visité les classes et a pris le temps de parler aux élèves. C’était une rencontre très intéressante. A la fin de la matinée, tous les élèves de l’école se sont rassemblés dans le gymnase pour chanter l’hymne national malgache et écouter son discours. Ensuite un buffet a été servi pour lui, à la cantine. Le cocktail, sans alcool évidemment, ressemblait vraiment à du mojito et j’ai eu une pensée pour mes collègues récemment quittées … Elles auraient apprécié !
En janvier, « Grand V » a également commencé les démarches pour l’obtention de nos permis de conduire biométriques malgaches. Il s’est occupé de tout pour nous deux et a fait de nombreuses démarches au bloc administratif. Madagascar étant un des pays les plus pauvres du monde, on pourrait faire l’erreur d’assimiler « pauvreté », « pays en voie de développement » et « administration inexistante et/ou désorganisée ». Or ce n’est pas le cas. Les administrations malgaches existent et fonctionnent. Pour la photo biométrique et la prise d’empreintes digitales, je me suis rendue à mon tour au bloc administratif, pour la première fois. C’est un bâtiment imposant, de style moderniste en béton et un peu décati, qui surplombe la ville. Le panorama est intéressant. Pour les formalités que je devais faire, j’ai pris un rendez-vous téléphonique. A l’heure dite j’ai été reçue dans le bureau des permis de conduire où travaillent au moins 6 personnes. C’est une grande pièce, encombrée, car les bureaux et les chaises en bois de palissandre occupent beaucoup de place. Ce mobilier ne fait pas très « administratif » pour mes yeux français. Les employés m’ont autorisée à prendre une photo et m’ont demandé ce qui présentait un intérêt pour moi dans ces images. Je leur ai répondu : « Le contraste : d’un côté les machines à écrire et les rayonnages encore remplis de dossiers poussiéreux et de l’autre les ordinateurs et la technologie nécessaire à la mise en place des permis biométriques ». Mais ils m’ont expliqué : « Nous utilisons encore les machines à écrire sur les permis et tous ces dossiers sont là depuis 1960. Cela ne fait pas très longtemps que nous utilisons les ordinateurs mais bientôt tout sera informatisé. » Rendez-vous début mars pour récupérer nos documents tous neufs … Et peut-être aurais-je l’occasion de voir tous les petits métiers qui gravitent à l’intérieur du bâtiment et qui, eux, n’ont rien d’administratif.
Le lundi matin est parfois compliqué. Pour beaucoup de monde, quelque soit le pays, je ne pense pas être la seule …. Mais « Petit V » et moi avons vécu un lundi matin plus perturbé que les autres, il y a quelques semaines. Un lundi qui nous a un peu fait sentir « au mauvais endroit, au mauvais moment ».
Souvent le matin, pendant le trajet en moto, « Petit V » me récite les tables de multiplication. Je dis «6×3 » et il répond « 18 ». Ou alors les conjugaisons ou toute autre leçon selon le programme … Sur le chemin qui part de chez nous et rejoint la route, il y a peu de monde : quelques piétons, une charrette à zébus parfois, d’autres motos mais pas grand monde … Ce matin là, c’était justement le jour de la table de 9. Je me suis engagée dans le chemin, concentrée à la fois sur ce que je disais à « Petit V » et sur les pierres, les creux et les bosses du chemin. « 9×7 ? » Et puis en avançant, j’ai réalisé que ce matin, il y avait vraiment beaucoup de monde au bord du chemin. Que des jeunes et que des hommes. Mais je continuais. « 9×4 ? » Puis en y regardant de plus près, j’ai vu qu’ils tenaient tous des pierres dans leurs mains. « 9×9 ? » Pourquoi ? Aucune idée. Mais ils nous regardaient passer. Le chemin m’a paru un peu long. « 9×5 ? » J’ai eu envie de rebrousser chemin mais il fallait bien aller travailler. « 9×2 ? » Et puis, presque arrivés au bout nous avons vu un gros panache de fumée. C’est « Petit V » qui l’a remarqué en premier. « 9×8 ? » J’ai tourné à droite, comme d’habitude. Un monsieur m’a fait signe : « Non ». Effectivement, une barricade barrait la route de l’université que nous empruntons chaque matin. De grosses pierres entassées, des broussailles en feu, impossibles à contourner. Une autre encore plus loin et une troisième du côté opposé. J’ai demandé si un autre itinéraire était possible mais les piétons qui étaient là m’ont dit que non et m’ont fait signe de vite m’avancer dans un sentier à l’abri. Derrière nous, dans le chemin que nous venions de quitter, il y a eu de l’agitation, des cris, des bousculades peut-être. Je n’ai pas vu, ce n’était qu’une impression et du bruit. Je commençais à être inquiète et sûre que nous ne serions pas à l’heure à l’école. J’ai décidé de faire demi-tour mais je craignais un peu de croiser à nouveau les porteurs de pierres. J’ai voulu appeler « Grand V » pour qu’il vienne nous y attendre. Mais là, nous avons entendu 3 coups de feu, un peu loin mais pas tant que ça …. « Petit V » m’a dit : «Qu’est-ce que c’était ce bruit ? » J’ai dit : « Je ne sais pas. » Quitter cet endroit était urgent. J’ai dit à « Petit V » de se mettre à l’abri devant le portail d’une école et de rentrer si il se sentait en danger. J’ai remis mon casque de moto (prudence) et je me suis avancée vers la route pour voir si elle était dégagée. La voie était libre, nous sommes vite repartis, « Grand V » nous attendais sur le chemin, vide lui aussi et il n’a pas très bien compris d’où venait mon inquiétude. C’est alors que « Petit V » a dit : « J’ai peur. J’ai trop peur … d’être en retard à l’école ». C’est là que je me suis aperçue que chacun peut avoir une perception des événements bien différente. Évidemment je n’ai pas pris de photos, j’étais occupée à autre chose. Mais au retour de l’école, la route avait été dégagée. Les traces restaient bien visibles. Depuis le mois d’octobre les étudiants manifestent à l’université, je pense à posteriori que nous ne risquions rien. Les pierres ne nous étaient pas destinées et les tirs ont été lancés « en l’air » par la police pour disperser les manifestants…. Et depuis nous avons déménagé !
Et puis, il y a eu ce dimanche à la plage de Grand Pavois. Nous avons déjeuné sous une paillote, puis nous avons marché un peu et sommes arrivés au pied du cirque rouge, un site remarquable de Mahajanga. Nous nous sommes avancés le long d’un cour d’eau, dans un environnement sauvage et beau et au loin est apparue la roche aux dégradés de rouge. Superbe ! Nous n’avons pas avancé davantage car cette balade prend plus de temps que nous n’en avions ce jour-là mais nous y retournerons. Cet échantillon nous a donné envie d’en voir plus et maintenant, nous connaissons le chemin. Peut-être allons nous attendre nos premiers visiteurs pour nous y rendre …
Pour finir, quelques animaux rencontrés ces derniers temps … Dans le jardin, nous croisons des caméléons et sommes réveillés par le chant des petits oiseaux aux couleurs chatoyantes. Cet oiseau s’appelle « fody » ici. Ailleurs il est nommé « cardinal ». Nous avons aussi eu pour pensionnaire une tortue « radiée de Tuléar ». Classée espèce protégée, elle a été donnée à « Grand V » qui l’a confiée à un parc qui participe à sa sauvegarde et sa protection.
La dernière anecdote est celle des crocodiles. Un soir, un monsieur sonne au portail. Voici un compte-rendu de notre conversation.
« -Bonsoir Madame, vous voulez acheter des crocodiles ? J’en ai deux à vendre.
– Euh … Non, merci. (un peu surprise quand même)
– Mais, si, c’est bien les crocodiles dans votre jardin.
– Non, je ne crois pas. Et puis, je trouve déjà que les chiens sont trop encombrants … »
Je suis rentrée et je suis allée chercher tous les autres habitants de la résidence. Personne ne voulait acheter mais tout le monde était intéressé par cette nouvelle histoire.
Dans un petit panier un peu long, le monsieur avait effectivement deux bébés crocodiles, chacun de la taille d’un avant-bras à peu près.
« -Vous les avez trouvé où ? Dans les égouts ?
– Non, c’est moi qui les ai chassés en brousse. C’est bon pour les vazahas, les crocodiles.
– Ah bon ? Pourquoi ? Pour faire des sacs à main ? Des ceintures ?
– Non, pour faire des brochettes. (rire)
– (… silence …) »
Bref, nous n’avons pas eu besoin de réfléchir plus longtemps, nous ne les avons pas achetés et nous sommes rentrés en riant de cette proposition inattendue. A Madagascar, les surprises arrivent souvent, et surtout quand on ne les attend pas !