« Akamasoa » signifie « les bons amis » en malgache. C’est le nom d’une association, fondée en 1989 et reconnue d’utilité publique par l’État malgache en 2004. Cette association est l’oeuvre du Père Pedro Opeka, une figure de Madagascar. D’origine Slovène, né en Argentine en 1948, il vint à Madagascar pour la première fois en 1972 alors qu’il était encore étudiant. Il fut ensuite prêtre à Vangaindrano pendant 14 ans. Dans cette région isolée et démunie, il contribua à améliorer les productions agricoles et ainsi, les conditions de vie des habitants. Nommé, plus tard par sa congrégation directeur de formation des jeunes frères, il part pour Antanarivo.
Là-bas, il découvre les conditions de vie inhumaines de familles entières, vivant, fouillant et errant dans la décharge d’Andralanitra, à l’écart de la capitale. Hommes, femmes et enfants, dont la subsistance dépend seulement de ce que les bennes déversent chaque jour. Convaincu que chacun mérite de vivre dans la dignité, il cherche des solutions pour sortir ces gens de la décharge.
Voici les principes de l’association : [ Dès le début, nous étions convaincus que cette dignité était inséparable de trois choses : un toit, un travail, une éducation. Il était inenvisageable aussi que ces personnes ne vivent pas dans un environnement décent et qu’elles n’aient pas accès aux soins.
Nous avons commencé notre travail aux côtés des pauvres ; nous n’étions pas en mesure de leur offrir matériellement ce dont ils avaient besoin ; nous voulions les sortir de leur enfer car nous étions persuadés qu’aucun être humain ne mérite de vivre dans de telles conditions. Nous avions cette conviction, et la foi en la possibilité d’un avenir autre, meilleur, pour cette population délaissée. Nous étions aussi convaincus qu’une aide pérenne ne peut être apportée seulement de l’extérieur, et que c’est le changement de la personne humaine en la faisant sortir de ses anciennes habitudes qui doit être opéré : nous voulions aider sans assister. C’est pour cela que si nous avons travaillé pour les pauvres, cela s’est toujours fait avec eux, à leurs côtés, en les aidant à construire des structures – écoles, lieux de travail, dispensaires – à l’intérieur desquelles ils pourraient eux-mêmes reconstruire leur vie, et préparer l’avenir de leurs enfants.]
Ainsi, depuis sa création, il y a 30 ans, Akamasoa lutte contre la pauvreté à Madagascar. Dans ce pays où 8 personnes sur 10 vivent sous le seuil de pauvreté, c’est à dire avec moins d’1,5$ par jour, l’association Akamasoa s’est substituée à un état défaillant dans les zones où elle est implantée. Le premier village communautaire s’est implanté à une soixantaine de kilomètres de la capitale. « [Ils ont] choisi d’œuvrer au côté de ces personnes qui vivaient dans la misère. Il fallait trouver du travail, et quitter la décharge où elles avaient établi demeure. [Ils pensaient] que le travail et la campagne pouvaient les guérir et les faire échapper au cercle de désespérance, de mendicité, de délinquance et de criminalité auquel elles semblaient vouées : avec quelques familles désireuses de s’en sortir, [ils sont] partis à la campagne, à 60 km au nord d’Antananarivo, pour travailler la terre et constituer des communautés solidaires. Il fallait s’éloigner de la capitale, des promesses illusoires de la ville, de l’enfer de la décharge ; retrouver la vie. » Petit à petit, un premier village s’est organisé. Aujourd’hui, 30 ans plus tard, il existe 22 villages « Akamasoa » à Madagascar. La plupart autour de la capitale, 3 dans le sud-est et 1 dans le sud-ouest. Toutes les personnes qui rejoignent Akamasoa pour demander un soutien doivent respecter une discipline appelée la Dina. C’est une sorte de convention élaborée par les habitants eux-mêmes : pas de drogue, pas d’alcool, pas de jeux et pas de prostitution. Mais elle est souvent difficile à appliquer, la vie restant trop dure pour beaucoup.
En 30 ans d’existence, Akamasoa est venu en aide à plus de 500 000 personnes. Plus de 3000 logements ont été construits et l’association offre des emplois rémunérés à plus de 3000 personnes chaque année. Dans tous les secteurs : construction, artisanat, agriculture, menuiserie, plomberie, électricité, mécanique, santé, enseignement, social … 15 000 jeunes sont scolarisés dans ses établissements ; de la maternelle à l’université. Le sport n’est pas oublié. Des stades et des gymnases sont aussi construits et des jeunes sportifs originaires de villages de l’association ont déjà remporté des compétitions nationales d’athlétisme par exemple. Toutes ces infrastructures ne sont pas réservées au bénéficiaires de l’association. Elles sont également utilisées par des circonscriptions scolaires extérieures. Les bénéficiaires sont aussi poussés à chercher du travail à l’extérieur. Il y a une volonté d’ouverture. Que le passage par l’association ne soit qu’un redémarrage, un coup de pouce. Akamasoa est aussi présente sur le plan environnemental, si fondamental à Madagascar, et développe des projets de pépinières et de reboisement. Je pourrais recopier ici les chiffres montrant l’implication et l’efficacité de cette association. Ils ne manquent pas. La notoriété, l’acharnement et l’humanisme du Père Pedro, la valeur de ce qu’il a créé et qui perdure grâce à 500 collaborateurs malgaches, n’est plus à prouver. Vous pouvez trouver des informations sur le site internet d’Akamasoa https://www.perepedro-akamasoa.net/ Les rapports d’activité de l’association y figurent. Lisez-en au moins un ou deux
Les premières pages sont toujours consacrées à un « éditorial » rédigé par le Père Pedro lui-même. Le monsieur ne mâche pas ses mots sur la façon dont le pays est dirigé, sur la pauvreté qui y règne, sur les difficultés auxquelles il(s) doit(vent) faire face pour poursuivre leurs actions. Il y a beaucoup à apprendre en le lisant.
Au mois de décembre, nous étions de passage à Tana, avant d’entamer notre circuit de découverte de l’est du pays. Sous l’impulsion de nos vahinys, nous avons décidé de nous rendre dans le quartier Manantenasoa pour assister à la messe donnée chaque dimanche par le Père Pedro dans l’église d’Akamasoa. Nous connaissions le Père Pedro comme une « figure » de Madagascar, l’objet et l’origine de son travail, mais nous n’imaginions pas ce que nous avons vu et vécu.
Quelle surprise pour nous quand notre voiture a commencé à grimper la colline de Manantenasoa. Le monde dans la rue qui gravissait aussi la rue propre et pavée. Et encore davantage de personnes dans les rues environnantes quand nous sommes arrivés devant l’église. Qui n’a d’église que son nom et sa vocation, car c’est en fait un ancien gymnase dont la fonction a changé. Par besoin de place, j’imagine. Ce qui nous a frappé, dans cette densité de population, c’est le nombre d’enfants. Des bébés, des enfants, des adolescents, avec leurs parents ou en groupes. Tous vêtus avec soin, propres et, évidemment, souriants ! Et tous, arrivants d’une rue ou d’une autre, mais convergents vers l’église.
Nous avons suivi les gens et nous sommes entrés. Et là, quelle surprise : la foule, le monde, le grouillement … et chacun rejoignant une place sur les gradins, dans le calme et sans bousculade. Nous avons fait de même et avons pris place sur un côté, au milieu d’enfants qui nous regardaient avec une surprise discrète. Nous avons compris plus tard, en observant l’intérieur de l’église qu’il y avait un « gradin spécial vazahas » à une extrémité. Mais comme nous n’étions pas des invités d’importance, nous étions très bien à notre place !
A priori, la messe, ce n’est pas mon activité favorite. Ou disons que ce n’est pas ancré dans ma culture et mes habitudes. En général, je ne m’y retrouve pas vraiment. Je ne peux pas dire que j’ai vraiment saisi la teneur du prêche de ce dernier dimanche de l’avent car le Père Pedro dit la messe en malgache. Mais l’aura qu’il dégage pour tous les gens présents et l’espoir et la ferveur qu’ils ressentent sont presque palpables. Impossible de ne pas se laisser emporter par les chants et l’élan collectif. Le tableau final, qui a été chorégraphié en l’honneur du Pape François lors de sa visite à Madagascar en octobre était vraiment fantastique. Le déroulement de la messe est bien rôdé, chacun a son rôle. Nous avons pu distinguer différents groupes au sein de la communauté présente: les scouts et les éclaireuses, des groupes de femmes, une congrégation habillée de rouge et blanc.
Le moment de la quête nous a fait sourire. Facile de concevoir que ce moment est fondamental pour une église à vocation d’aide humanitaire. L’ingéniosité malgache a encore fait ses preuves avec les manches à balais équipés d’une poche à l’extrémité que des volontaires tendent comme des cannes à pêche pour que chacun puisse y déposer son don. Et si le volontaire n’a pas le bras assez long, la canne à pêche est transmise comme un témoin de relais pour qu’aucun donateur potentiel ne soit oublié. Cette organisation bien rôdée est visible dans la vidéo qui suit.
Il nous a fallu du temps pour quitter l’église, 8000 personnes ne s’évacuent pas rapidement…. 8000 personnes dans une église. Chaque dimanche !
Une fois dehors, nous avons été sollicités par des dames qui vendaient des tickets repas. Afin d’éviter que les visiteurs donnent de l’argent aux enfants et les poussent ainsi à la mendicité, L’association leur propose d’acheter un ticket (ou plusieurs) et de les distribuer aux enfants. Ainsi, ils peuvent se faire servir un repas chaud dans le centre d’accueil juste à côté.
Ensuite nous avons descendu la rue à pieds pour sortir du quartier. Le contraste avec la plupart des quartiers d’habitation est saisissant. Toutes les maisons sont semblables avec un étage et une varangue. Toutes entretenues peintes et propres. La rue est pavée, pas disjointe et inégale comme c’est si fréquent ici. Les caniveaux qui la borde ne sont ni nauséabonds, ni pleins de déchets. Je suppose qu’ils jouent leur rôle d’évacuation de l’eau lors des épisodes pluvieux.
Nous sommes passés devant un dispensaire. L’école, collège et lycée étaient visibles au loin. Nous avons bien senti qu’ici, il y a une volonté de constance. Les infrastructures sont mises en place petit à petit. Puis une fois qu’elles existent, elles sont entretenues pour pouvoir perdurer. C’est cette habitude d’entretien et de maintenance qui manque ici. Et c’est ce qui me fait dire que l’association Akamasoa se substitue à l’Etat. Car dans un pays, à qui doit revenir l’entretien des routes et des canalisations, qui doit se soucier que chacun ait accès à l’eau et à l’électricité ? A qui incombe les travaux d’aménagements et de réhabilitation des infrastructures ?
Quand nous avons quitté la colline de Manantenasoa, nous avions appris beaucoup. Et rêvé aussi à ce que pourrait devenir Madagascar si les gouvernants présentaient une plus grande volonté d’améliorer le bien public.
Le Père Pedro et son action montrent aussi tout le bien que peuvent faire jaillir, l’humanisme, le respect, la volonté et la solidarité.